le 19 octobre 2023
Publié le 3 octobre 2023 Mis à jour le 19 octobre 2023

Trois ans de projets climat CY Tech X Le Campus de la Transition, retour d'expérience par Cécile Renouard

ITW Cécile Renouard_campustransition_cytech
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CY Tech X Campus de la Transition

Bonjour Cécile Renouard,
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer ce qu’est le Campus de la Transition ?

 

Je suis cofondatrice et Présidente du Campus de la Transition. C’est une association loi 1901 qui existe depuis décembre 2017 pour répondre aux enjeux à la fois écologiques et sociaux tels que les urgences écologiques et la croissance des inégalités. Mon engagement au Campus est le prolongement de mon parcours antérieur d'enseignement et de recherche sur les questions de responsabilité, en particulier dans les pays dits du Sud.

Je voyais bien le besoin d'alignement des entreprises, notamment des grandes entreprises et des institutions au regard des enjeux sociaux et écologiques, ainsi que l'inadéquation entre de nombreuses formations cloisonnées des étudiants dans l'Enseignement Supérieur et ces grands défis à relever.

L'intuition initiale était de créer une petite institution qui ne soit pas en concurrence avec les universités et les écoles, mais qui permette d'aiguillonner des transformations de cursus, notamment autour des enjeux de transformation des modèles économiques et des modes de vie. Le Campus de la Transition vise donc à former pour transformer des personnes de l’Enseignement Supérieur et des professionnels afin qu’ils s’engagent pour la transition écologique et sociale. Pour cela, nous les aidons à acquérir les compétences transverses indispensables pour agir à la hauteur des enjeux.

De fait, le Campus de la Transition est une association qui travaille à la fois en réseau avec des enseignants-chercheurs de différents établissements d'Enseignement Supérieur. C’est également un écolieu ancré en Seine-et-Marne où un domaine a été mis à disposition du projet, à Forges, près de Montereau-Fault-Yonne plus précisément. Ce lieu permet d'incarner les enjeux de sobriété et de convivialité que l’on essaie de promouvoir, pour montrer que l’un des grands défis est de réduire notre empreinte carbone. Nous cherchons à promouvoir la sobriété, et à le faire d’une manière conviviale et solidaire pour montrer qu'il y a de multiples choses à inventer, et que tout n'est pas qu’un tissu de mauvaises nouvelles et de contraintes à intégrer. Cette expérimentation cherche à fournir une vision d'un futur possible. Elle est porteuse de belles réalisations en termes de qualité de vie, de liens, de relationnel qui favorisent une grande créativité individuelle et collective.


 

ITW Cécile Renouard_campustransition_cytech
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Qu'est-ce qui vous a aidé, décidé à vous lancer dans l'accompagnement d'une grande école scientifique pour la toute première fois ?

Depuis sa création, le Campus de la Transition veut aider à former l’Enseignement Supérieur, et donc des étudiants, des enseignants-chercheurs et des équipes de direction d'universités et d'écoles pour accompagner les transformations nécessaires. Mais former, c'est aussi former des formateurs. Nous avons saisi la possibilité d'accompagner CY Tech et plus largement CY Cergy Paris Université avec cet objectif en tête. Cette magnifique opportunité est liée au départ à la rencontre avec Véronique Balbo Bonneval, directrice générale des services de l’Université, qui avait entendu parler il y a 4 ans de la demande qui nous avait été faite par le Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour travailler à l’élaboration d’un socle commun de connaissances et de compétences pour la transition.

Pour constituer ce socle, nous avons réuni environ 70 enseignants-chercheurs de différentes disciplines. De cette collaboration est né d’abord le Manuel de la Grande Transition, puis la collection des “Petits Manuels de la Grande Transition” pour intégrer de façon plus précise les questions écologiques et sociales au sein des disciplines considérées.

Véronique Balbo Bonneval a contribué à l’écriture d’un des Petits Manuels qui s'intitule « Transformation des Campus » avec d'autres personnes venant d'universités ou de Grandes Écoles Ecoles. Cela nécessitait une bonne connaissance des enjeux, mais aussi des difficultés et des leviers existants pour transformer l'aspect matériel des campus. L’objectif consistait à s’interroger sur comment mettre un établissement en transition du point de vue de la rénovation énergétique des bâtiments, des enjeux de mobilité, d'alimentation, de liens avec le territoire sur tous ces sujets.

Nous étions extrêmement motivés à l’idée d’accompagner une grande école scientifique dans ce chemin de transition et de lui faire expérimenter notre pédagogie dite “tête-corps-coeur”. Certains la qualifient de très “active” voire holistique au sens où elle cherche à intégrer toutes les dimensions de la personne”; elle essaie de pas être trop intellectuelle, et de favoriser un autre rapport à soi, aux autres, à la nature. Nous nous sommes donc inspirés de cette pédagogie systémique et du Manuel de la Grande Transition pour réfléchir à la transformation des cursus.

Pourquoi ? Parce que le Manuel de la Grande Transition propose un parcours en 6 portes d’entrées complémentaires pour entrer dans les enjeux de transition via six manières de regarder nos réalités. Les 6 portes s’articulent autour de 6 noms grecs qui partent de la racine des mots “écologie” et “économie”. Pour commencer, nous présentons le diagnostic de notre “maison commune”, avec la première porte : OIKOS. Ensuite, nous passons par la porte ETHOS, la réflexion éthique sur les conditions du bien vivre ensemble, la responsabilité des acteurs, la justice des institutions. La troisième porte, NOMOS, est relative à la question des règles du jeu, des métriques, des instruments de gouvernance. La question des récits est considérée dans la quatrième porte appelée LOGOS. Ici, nous retrouvons les enjeux, particulièrement importants pour les écoles scientifiques, de faire cohabiter les techniques et les imaginaires, et de favoriser une vision prospective d'un futur souhaitable et possible. LOGOS permet de montrer la complémentarité entre une rationalité technoscientifique et une rationalité symbolique. Sur ce point, il était particulièrement intéressant d'accompagner des professeurs d'écoles d'ingénieurs et des étudiants. La porte PRAXIS est quant à elle dédiée à la question de la pratique, des acteurs et des échelles de l'action. Enfin, la sixième porte, DYNAMIS, ouvre sur les enjeux de reconnexion à soi, aux autres, à la nature. Le Campus de la Transition voulait à la fois pouvoir accueillir des professeurs, des équipes de direction, des étudiants à Forges en Seine-et-Marne ; mais aussi, être en mesure de rejoindre les équipes là où elles sont pour les aider à des transformations à plus grande échelle ; et nous trouvions que les 6 portes du Manuel de la Grande Transition pouvaient nous y aider.

Vous avez parlé de formation mais pas de sensibilisation...

C’est exact. Nous faisons de la formation et pas simplement et seulement de la sensibilisation. Comme le dit le rapport Jouzel-Abbadie, nous n'en sommes plus à la sensibilisation, il nous faut entrer activement dans des actions de formation. Malgré tout, pour les cursus plus éloignés, nous proposons aux étudiants de commencer par réaliser la Fresque du Climat en début de première année afin de poser avec eux le diagnostic. Il s’agit bien là de sensibilisation. Ensuite, nous poursuivons en donnant des instruments, des approches et des

ressources qui vont permettre de les former aux enjeux de transition. On sensibilise mais nous souhaitons avant tout aller plus loin et former de manière intégrative et systémique.



ITW Cécile Renouard_campustransition_cytech
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Nos locaux sont implantés à 120 km de distance. Comment fait-on pour transmettre la vision du campus, qui est intimement liée en fait à toute l’activité de recherche de l’écolieu, qui le rend si évolutif, très vivant, très expérimental. C'est un laboratoire, donc comment fait-on pour transposer cette philosophie, ce mindset à 120 km de là, dans une école ?

C’est une très bonne question. La bonne nouvelle, d'un point de vue transport, c'est qu’il n’y a qu’un changement à faire à Gare de Lyon pour prendre le RER A direction Cergy ou le transilien R pour Montereau. Certes, 120 km représentent une grande distance, mais le trajet est facilement réalisable.

De plus, le lieu permet de vivre une expérience inédite. Des professeurs et des collaborateurs sont venus de Cergy passer entre une et trois journées au Campus de la Transition et ils ont bien vu l'intérêt d'être en immersion car elle permet des rencontres et une expérience particulières. Le Campus de la Transition se trouve dans des vieux - et beaux ! - bâtiments que l’on pourrait qualifier de « passoires énergétiques ». S’y rendre permet d’accéder à un concentré des défis de la transition, et le passage dans ce lieu ne laisse personne indifférent. Un collectif vit sur place, et peut témoigner d’une expérience joyeuse et conviviale, ce qui est précieux ; notamment parce qu’au niveau de la société, tout le monde ne peut pas vivre en écolieux. Cela nous paraît important de voir comment l’expérience immersive que l’on fait à Forges et ce que l’on teste à petite échelle peut être reconnue et valorisée comme pédagogie transformatrice et systémique dans d’autres territoires et à plus grande échelle.

Cela fait le lien avec CY Cergy Paris Université qui est un formidable laboratoire implanté au sein de l’agglomération nouvelle de Cergy-Pontoise avec tous ses enjeux de lien avec le territoire.

Il est indispensable de former des personnes qui peuvent poser les bonnes questions avant même de trouver des solutions. Cela consiste justement à bien formuler les problèmes et à établir des diagnostics nourris d'interactions avec différents acteurs, avant de développer des méthodes à la fois prospectives et d'accompagnement du changement qui soient adaptées au cas par cas et aux spécificités des institutions avec lesquelles nous sommes en lien. Ce va-et-vient permanent entre ce que l’on peut tester à petite échelle et ce que l’on peut mettre en œuvre à plus grande échelle est crucial.

Avoir la capacité de rebondir face à l’incertitude est aussi une compétence à développer. Ce qui se pense au niveau global est forcément distinct de ce qui se vit à l’échelle locale sur le terrain. Il faut savoir accepter des effets d’émergence, notamment quand on commence à lancer des dynamiques où l’on peut rapidement être dépassé par la tournure des choses, de par les synergies inattendues qui voient le jour. Il s’agit de pouvoir réadapter les dispositifs initialement prévus.

L’intégration structurante des enjeux de transition dans les cursus est une affaire de savoirs mais aussi de compétences : nous faisons le parallèle entre les 6 portes du Manuel de la Grande Transition que j'ai mentionnées tout à l’heure et les compétences de France Université/Conférence des Grandes Écoles, ainsi que celles que propose l'UNESCO pour le développement durable. Pour faire le parallèle, le diagnostic (OÏKOS) vise à favoriser l'entrée dans une pensée complexe. Les personnes sont ensuite formées aux enjeux d'éthique et de responsabilité avec ETHOS. La porte NOMOS fait référence à la compétence de changement des modèles mentaux, de transformation des cadres théoriques quand ils sont inadaptés. Il s‘agit parfois de déconstruire des choses pour mieux les reconstruire. Sur la question des récits et des mots (LOGOS), il est aussi question d'acquérir une vision

prospective. Ensuite, le registre de l’action (PRAXIS) est associé à la compétence de l’apprentissage en équipe. Chacun apprend des choses à titre individuel, mais c'est vraiment ensemble, à différentes échelles, qu'il s'agit de favoriser des changements d'itinéraires. Enfin, la sixième porte (DYNAMIS) est relative aux enjeux de reconnexion, en lien avec la question de la présence à soi, aux autres, à la nature ; ce que certains appellent la coprésence. Elle invite à accompagner des professeurs ou des équipes de direction dans l'élaboration de modules systémiques et dans lesquels les parcours sont élaborés en tenant compte du fait que chacun a une porte d’entrée privilégiée, liée à sa propre sensibilité. Voilà donc comment nous jonglons avec ces outils et éléments pour favoriser l'acquisition des compétences transverses.

 

Le Campus a apporté une expertise clé à la communauté éducative de CY Tech et principalement au département Humanités et Design qui porte les enseignements de culture de l’ingénieur. Avez-vous à votre tour tiré des enseignements de l'expérience CY Tech ?

L’expérience était pour nous un premier accompagnement dans le cadre d'un accord sur plusieurs années. C'est une formidable expérimentation d'un premier passage à l'échelle entre ce qu'on peut tester, à notre petite échelle, dans des formations immersives à Forges et la façon d'aider des équipes à intégrer un certain nombre d'éléments pour favoriser la transmission à un nombre bien plus grand d'étudiants.

Ce partenariat de trois ans a été un immense apprentissage. Il nous a notamment prouvé la pertinence de la méthodologie des supports développés par le Campus de la Transition. Cet instrument est puissant, parce qu’il permet une appropriation variée en fonction des appétences des professeurs et des équipes qui s'en saisissent, et permet également de rejoindre des étudiants très divers, même si les ingénieurs ont un certain nombre de points communs.

Pour nous, cette expérience a été aussi une confirmation et un apprentissage sur les manières de faire entrer des étudiants de la filière ingénieur dans ces enjeux de transition. Il est aujourd’hui indispensable qu'un établissement se mobilise véritablement avec une volonté forte de la direction et une dimension politique au meilleur sens du terme de vouloir changer des choses. Disposer d’une vision stratégique est essentiel ; mais elle doit ensuite s’appuyer sur des personnes qui ont vraiment le souhait d'avancer. C’est ce que le psychologue social Serge Moscovici appelle les “minorités actives”. Les représentants qui souhaitent changer les choses d’en haut restent malgré tout tributaires de la manière dont les actions sont reprises sur le terrain par des personnes qui en ont envie. Cet accompagnement du département Humanités et Design, mais aussi de l'équipe de CY Tech, avec le soutien de certains vice-présidents et de la présidence de l'université, consiste pour nous à aider l’établissement, mais aussi essayer de mettre en place une méthodologie adaptée pour d'autres établissements. Bien évidemment, tout en gardant de la souplesse et la conscience qu'à chaque fois, notre accompagnement est tributaire de l'organisation (aussi un peu de la culture politique qui est à l'œuvre dans une université ou dans une école). Toute une matrice se met en place et la richesse se trouve dans la nuance.

 

Avez-vous une anecdote à nous partager à propos de notre collaboration ? 


Les ingénieurs, ce sont eux qui cherchent et trouvent des solutions.
En fin d'année, ont eu lieu les soutenances des projets des premières années sur des sujets variés comme « comment fait-on pour diminuer les émissions carbone de l'aviation ? ». Ou encore l'impact environnemental du numérique ? Plusieurs étudiants nous ont dit dans les soutenances qu'ils préféraient ne pas proposer de solution parce qu’ils estimaient que pour aujourd'hui il n’y avait pas encore vraiment de solutions techniques. En tous cas, les solutions ne pouvaient pas être que techniques et ils étaient très conscients qu'en fait, pour changer les choses, il faut toute une organisation sociale et démocratique. Je trouve intéressant d'entendre des étudiants qui sont plutôt formatés pour trouver les solutions dire « Attendez, nous en fait on pourra agir comme ingénieur au bon niveau que si on s'interroge aussi d'une manière un peu décalée ». Je trouve que c'est un super exemple et que ça dit quelque chose d'une maturation des étudiants.
Quand on les aide à entrer dans cette vision systémique, dans cette complexité finalement, les étudiants voient bien que si on veut y arriver, on a besoin de de travailler ensemble avec des compétences complémentaires.

Nous avons l’habitude de dire que les ingénieurs sont ceux qui cherchent et trouvent des solutions.

En fin d'année, ont eu lieu les soutenances des projets des premières années sur des sujets variés comme “comment fait-on pour diminuer les émissions carbone de l'aviation ? ” ou encore “l'impact environnemental du numérique”. Dans les soutenances, plusieurs étudiants nous ont dit qu'ils préféraient ne pas proposer de solutions parce qu’ils estimaient qu’il n’existait pas vraiment de

solutions techniques appropriées aujourd’hui. En tous cas, les solutions ne peuvent pas être seulement techniques et ils sont très conscients que changer les choses implique de repenser toute une organisation sociale et démocratique. Je trouve intéressant d'entendre des étudiants qui sont plutôt formatés pour trouver les solutions nous dire « Attendez, en fait nous ne pourrons agir comme ingénieur au bon niveau que si nous nous interrogeons aussi d’une autre manière ». Cet exemple est admirable tant il montre la maturité des étudiants. Finalement, quand on les aide à entrer dans cette vision systémique, dans cette complexité, les étudiants voient bien le besoin et la nécessité de travailler ensemble avec des compétences nouvelles et complémentaires.

Est-ce que cette expérience vous a donné envie d'essaimer dorénavant dans et hors les murs ? 


Oui, absolument. Cette expérience nous conforte dans l'importance d'accompagner une diversité d’autres acteurs. A commencer par l'ensemble de CY Cergy Paris Université, ce qui est notre prochaine étape. Nous voulons accompagner d’autres acteurs pour les faire bénéficier de nos expérimentations, expériences et expertises afin de favoriser une appropriation et l’acquisition de compétences transposables, et garantir un passage à l’échelle réussi. Nous pourrions même envisager que naissent ailleurs d'autres petits Campus de la Transition à proximité des universités. Cela existe en dehors de la France.