du 11 mars 2021 au 18 mars 2021
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Publié le 11 mars 2021 Mis à jour le 23 mai 2022

La saga de l'ARN modifié

Le succès de la modification chimique de l'ARNm a permis de finaliser les vaccins Pfizer et Moderna. Jacques Augé met disposition une vulgarisation de la merveilleuse histoire de la découverte de l'ARN. Il souhaite donner du courage à tous les thésards et chercheurs.

Article rédigé par Jacques Augé, professeur des universités en Chimie retraité. Durant sa carrière, il a occupé diverses fonctions au sein de l'ex-UFR Sciences et Techniques, actuellement CY Tech Sciences et Techniques. 

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« C’est une merveilleuse histoire dont les jeunes, les parents, les enseignants et les chercheurs peuvent s’inspirer.  C’est l’histoire de la découverte de la modification chimique de l’ARN afin de le rendre utilisable en médecine.


Genèse de la découverte 

Nous connaissons tous cette prodigieuse avancée dans l’élaboration d’un vaccin en des temps records mais  revenons à la genèse de l’histoire. Nombreux étaient les chercheurs qui avaient l’intuition que l’ARN messager  pouvait avoir un rôle essentiel en cancérologie et en immunologie puisque cette molécule (désignée par la suite  ARNm) copie de l’ADN, rentrait dans nos cellules (mais pas dans le noyau où réside l’ADN) pour le traduire en  protéines. L’ARNm est détruit rapidement dans la cellule ce qui d’ailleurs est une garantie pour un vaccin. De  nombreuses tentatives avaient été faites, y compris chez l’homme, mais la réponse inflammatoire était beaucoup  trop forte. De nombreux laboratoires, y compris parmi les plus prestigieux, n’ont pas porté beaucoup d’attention  à l’utilisation de l’ARNm, molécule très fragile, préférant développer les techniques basées sur une bonne  connaissance de l’ADN (thérapie génique). Des chercheurs isolés, sans beaucoup de moyens, se sont pourtant  attelés à la tâche. C’est le cas de Katalin Kariko qui a fait des recherches sur l’ARNm en Hongrie jusqu’en  1985, puis a émigré aux Etats-Unis à l’âge de 30 ans. Elle a continué ses recherches à l’Université de  Pennsylvanie, mais ses travaux intéressaient peu de monde et elle a eu beaucoup de difficultés pour trouver des  financements. Par contre, elle avait une totale confiance en elle-même, en ses projets. Pour simplifier, ceux-ci  tiennent en une idée. Puisque l’ARNm est trop immunogène, alors pourquoi ne pas le modifier chimiquement,  très légèrement afin de diminuer son impact inflammatoire tout en préservant une bonne traduction en protéines.  Facile à dire mais difficile à réaliser car les modifications chimiques potentielles sont très nombreuses. Katalin  Kariko en a sélectionné un certain nombre et a pris son courage à deux mains pour commencer chacune des  expériences correspondantes. On peut imaginer que ce fut très laborieux et qu’il n’y avait aucune certitude de la  moindre réussite. Un de ses collègues, l’Américain Drew Weissman, élève d’Antony Fauci (l’actuel conseiller  COVID de la Maison Blanche) l’a beaucoup encouragé et aidé dans cette voie. Après 20 ans de persévérance, ils  ont découvert que le remplacement de l’uridine, l’un des nucléosides de l’ARNm, par une pseudouridine,  donnait des résultats extraordinaires en terme de stabilité et de capacité de traduction de l’ARNm en protéines.*  Un brevet a été déposé en 2005 par l’Université de Pennsylvanie en ce sens.


De la découverte de 2005 à son application dans un vaccin  

Dans les années qui ont suivi cette découverte fondatrice, nombreux ont été les chercheurs à suivre les travaux  de Kariko et Weissman, qui ouvraient de vraies perspectives médicales. Le brevet de l’université de  Pennsylvanie a d’ailleurs été racheté par une Biotech américaine, aujourd’hui Cellscript, privant Kariko et  Weissman de tous droits. La licence du brevet a été acheté en 2010 par la start-up Moderna dont le PDG est  aujourd’hui le Français Stéphane Bancel. Pour la petite histoire MODeRNA signifie Modified RNA, ce qui  montre à la fois l’objectif de la start-up et le rôle essentiel de la modification chimique de la molécule d’ARN  (RNA en anglais). Katalin Kariko a, quant à elle, collaboré avec les médecins Ugur Sahin et Ozlem Tureci,  d’origine turque, créateurs de la start-up BioNTech en Allemagne. Vice-Présidente de cette start-up, elle  participe notamment aux travaux sur l’efficacité de vaccins à base d’ARNm sur des animaux au sujet des virus  Zika, grippe ou Sida. 
Lorsque le coronavirus de la COVID-19 a été connu, Moderna et BioNtech étaient tout à fait bien préparés, sûrs  d’eux-mêmes, pour lancer leurs études, dès le mois de janvier 2020. 


Comment fonctionne le vaccin à ARNm? 

On réalise d’abord la synthèse chimique de l’ARNm modifiée et codant pour la protéine Spike (celle qui entoure  le coronavirus). Cet ARNm est placé dans une capsule lipidique (polyéthylèneglycol) pour permettre sa  vectorisation dans les cellules du muscle où on l’injecte à très faible dose. Une fois dans le cytoplasme, l’ARNm  code la synthèse des protéines virales Spike. Celles-ci migrent à la surface cellulaire et sont reconnues par des  lymphocytes B qui produisent des anticorps anti-COVID. D’autres fragments de Spike sont digérés par des  cellules dendritiques (dites présentatrices d’antigènes). Ces cellules présentent ces fragments de Spike aux  lymphocytes T, garants de la mémoire immunitaire.  


En conclusion

Je citerai Katalin Kariko, elle-même (Le Point, janvier 2021): “Ne cherchez pas les récompenses, l’argent ou la  gloire. Faites de votre mieux et soyez satisfaits. Dans cette société de l’apparence, ce n’est pas votre look qui  doit compter, mais bien la valeur que vous générez”. 

*Pour comprendre l’intérêt de la pseudouridine et du pouvoir vaccinal de l’ARNm modifié (exaltation de son  expression en protéines), voir Kariko Katalin et al. Molecular Therapy (2008) 16, 1833-1840.»

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